Le cinéma a son Zacharias Kunuk, la chanson, sa Elisapie Isaac et l'art contemporain, un nombre incalculable d'artistes d'origine amérindienne. Mais les connaît-on seulement? L'exposition Baliser le territoire: manifestation d'art contemporain autochtone, à la galerie Art mûr, a comme principal et noble objectif de corriger cette situation. Elle le fait avec éclat: vingt-cinq noms, une centaine d'œuvres et deux étages consacrés à un art qui nous éloigne plus que jamais des stéréotypes de la tête plumée.
Des expositions comme celle-là sont importantes, croit Nadia Myre. Née de mère algonquine, l'artiste âgée de 38 ans connaît du succès depuis plusieurs années, plus particulièrement depuis le projet de longue haleine Indian Act (2000-2003), qui consistait à recouvrir de perles le texte de la Loi sur les Indiens.
Représentée depuis dix ans par la galerie Art mûr, Nadia Myre agit cette fois comme commissaire. Une première pour elle. «C'était important de le faire. J'ai souvent fait partie d'expos d'art autochtone au Canada, mais pas ici. Ça fait longtemps qu'au Québec on en avait vu.»
C'est Rhéal Lanthier, un des directeurs-propriétaires de cette galerie située aux abords de la Plaza Saint-Hubert, qui l'a poussée à monter l'expo. Elle a accepté puisqu'elle faisait déjà des recherches sur les questions du territoire et sur le cas très précis de Maniwaki.
Elle s'est mise à recruter ses artistes, dont de gros noms de l'art contemporain au pays (la Vancouvéroise Rebecca Belmore, le Manitobain Robert Houle) et des États-Unis (le Cheyenne Edgar Heap of Birds). Imprégnée de commentaires politiques très forts, Baliser le territoire n'est cependant pas une attaque contre l'establishment blanc.
Pas plus qu'un cri d'alarme.
«Je ne dénonce pas, j'annonce, dit Nadia Myre. J'annonce que ces artistes font un art contemporain très valide. Je dis que l'on peut faire des expositions d'art amérindien avec des thèmes qui se tiennent. Et que ce n'est pas de l'artisanat.»
Parfois, dans la tête des gens, un fossé sépare art contemporain et cultures autochtones. Myre le reconnaît, mais ça la surprend toujours lorsqu'elle tombe sur une expo où sont véhiculés les stéréotypes les plus lourds. Ça la surprend parce que, dans le milieu «où [elle] navigue, [elle n'a] jamais vu ça».
Les oeuvres réunies à la galerie Art mûr portent néanmoins des traces identitaires propres aux Premières Nations. Que ces oeuvres soient pure abstraction (les tableaux de Rita Letendre, vétéran du groupe) ou témoignages émotifs (les portraits sur vidéo de Kevin Lee Burton). Et la commissaire a constaté que la question territoriale était liée à la langue, «à la capacité de pouvoir parler la langue ancestrale».
Robert Houle peint animé par le rythme des mots en langue saulteaux, qu'il exprime à voix haute, pinceau en main. Greg Staats exprime sa frustration d'être incapable de communiquer en mohawk à travers une vidéo minimaliste. Quant à lui, Arthur Remwick associe la langue officielle imposée à ses ancêtres du Dakota à des signes de ponctuation muets.
Si autrefois Rita Letendre a dû taire son identité abénaquise pour percer, aujourd'hui les
artistes pensent à l'avenir sans renier leurs origines, considère Nadia Myre. «C'est un peu comme ce qu'ont fait les Québécois dans les années 1960 et 1970, qui se sont tournés vers leur langue pour bâtir leur propre pays.»
Rhéal Lanthier est du même avis. «Les jeunes autochtones n'ont plus honte de dire qui ils sont. Auparavant, c'était une barrière; aujourd'hui, c'est un avantage. Il y a désormais un intérêt pour ces cultures.»