Marie-Ève Charron
L’artiste Nadia Myre à la recherche d’un héritage autochtone dans les collections du Musée McCord
Les collections du Musée McCord étaient, semble-t-il, toutes désignées pour Nadia Myre, quatrième artiste à se prévaloir du programme « Artiste en résidence ». Son exposition en cours confirme la pertinence d’un tel programme et poursuit la voie fructueusement ouverte par les artistes Marie-Claude Bouthillier (2012), Kent Monkman (2014) et Frédéric Lavoie (2014) qui, comme elle, ont été invités à créer à partir des artefacts possédés et conservés par l’institution de la rue Sherbrooke.
Par le détour de périodiques féminins de l’époque victorienne, au XIXe siècle, Nadia Myre s’est intéressée aux instructions données au lectorat pour réaliser des objets d’inspiration autochtone, tels des mocassins et des paniers. Les publications de la sorte étaient nombreuses ainsi à conforter l’engouement de la classe bourgeoise pour l’exotisme culturel des Premiers Peuples.
Le mérite du projet de l’artiste est de reposer sur un processus qui souligne l’écart produit entre ces modes d’emploi et les objets autochtones pris pour modèle, lesquels, au demeurant, se faisaient connaître par l’imagination et sous la forme d’interprétations répétées. Les objets passaient d’utiles à décoratifs, afin d’agrémenter les intérieurs domestiques de propriétaires pour qui ces nouveautés faisaient bien paraître. Certains objets semblent même avoir été surtout inventés, comme ce curieux support mural à raquettes en soie rouge que l’artiste s’est avec étonnement vue fabriquer.
Processus
Parce que dans son travail Nadia Myre revendique ses origines métisse, algonquine et canadienne-française, et qu’elle réfléchit à la dimension culturellement construite de l’« Indien » (Idian Act, 2000-2003), elle a volontairement pris dans ce projet la place des femmes victoriennes en exécutant le patron de quatre objets. Par contre, elle n’a jamais consulté ces patrons ; elle a demandé qu’on lui en fasse lalecture et que jamais ne soit mentionné de quoi il s’agit. C’est à l’aveugle, pour ainsi dire, qu’elle s’est lancée dans des travaux à l’aiguille, de broderie, de couture et de perlage, dont le résultat est exposé avec les enregistrements audio qui les ont guidés.
Les objets trahissent l’effort et la maladresse liés au travail effectué par essais et erreurs. On reconnaît l’habileté de l’artiste pour le perlage, technique souvent employée dans ses oeuvres antérieures, et même aussi pour la broderie, mais la forme des objets est plutôt grossière : la bandoulière de la sacoche, par exemple, s’étire trop longuement. Ces « défauts » sont les bienvenus pour témoigner d’un savoir-faire difficile à retrouver dans une posture que l’artiste tente de faire sienne. Elle s’inscrit en porte à faux, entre la place de ces femmes pour qui les instructions étaient écrites et celle des autochtones. La dynamique permet de reconsidérer les termes d’un rapport colonialiste entre les deux cultures.
Une vidéo tournée en plongée cadrée serrée sur les mains de l’artiste nous la montre en action, en train de faire les objets à tâtons. Un peu comme un tutoriel légèrement parodique, le film et les instructions lues soulignent l’importance de la tradition orale dans la transmission d’un savoir-faire, et, par conséquent, de la vulnérabilité de cette culture ainsi davantage exposée à la disparition. Comment renouer avec cet héritage autochtone et le garder vivant à partir de ce qu’il en reste ici, soit les visions fantasmées par les Blancs et les objets qui, bien que collectionnés, sont désormais coupés de leur contexte d’émergence ? Il y a une impossibilité implicite qui force la réinvention affirmative de l’identité autochtone, trait spécifique de la démarche de l’artiste, lauréate en 2014 du prix Sobey.
Le double phénomène de décontextualisation (victorienne et muséale) est souligné dans tout le processus de l’artiste qui, notamment, plonge les gestes et les objets sur fond noir, jusque dans la photographie numérique du panier et des mocassins faits de son cru. L’image retouchée, avec le même soin méticuleux que pour le perlage, magnifie les objets et les cristallise dans une aura singulière qui mime le travail de muséification.
L’exposition n’en reste pas là. Avec des exemples de ces fameux magazines féminins (The Young Ladies’ Journal, The Ladies’ Guide to Needle Work, Embroidery, etc.), d’artefacts autochtones et de photographies puisées dans les collections, l’accrochage dévoile sous des formes multiples les décalages, les résistances et les intégrations à l’oeuvre entre les cultures pour qui les échanges étaient aussi commerciaux. Le contexte de cette rencontre avec l’autre, l’autochtone, nourrissait également l’idéal féminin victorien associé à la domesticité et aux délicats travaux de broderie. Cet aspect n’a pas échappé à Nadia Myre qui, fort heureusement, refuse d’entretenir une vision binaire des choses pour en préférer une plus complexe. Il faut le croire aussi dans le choix du titre dont le bilinguisme asymétrique rend compte d’une équation impossible soulignant plutôt les différences.